Parlement Européen : Corruption et influence, pouvoir et déchéance
Par Joaquinito Maria ALOGO DE OBONO, Docteur en Droit pénal international de l’Université Paris-Saclay spécialisé dans la corruption d’agents publics étrangers et Chargé d’enseignement en Droit pénal général et Droit des sanctions à l’Université Paris X Nanterre.
Médusé, le monde entier vient d’assister, impuissant et sonné, au plus grand scandale de corruption d’agents publics étrangers qui jamais n’a frappé le continent qui porte le nom mythologique de la princesse phénicienne Europe, fille d’Agénor, roi de Tyr. Pour mémoire, la légende rapporte qu’Europe s’est vu offrir par son père une robe majestueuse, confectionné par les Dieux, symbolisant la splendeur de la vertu, provenant de sa mère, la nymphe Lybie. Imprudente, Europe se serait laissé séduire par la beauté d’un taurreau blanc apparu, comme tombé du ciel, sur une plage de Sidon mais l’animal s’est révélé être le Dieu Zeus métamorphosé, enlevée par lui, elle a plus tard été abandonée aux désirs du roi Astérion de crète.
De manière imagée, c’est ainsi que se présente l’arrestation de Madame Eva Kaili, Vice-Présidente du Parlement Européen le 10 décembre 2022 à Bruxelles, avec cinq autres personnes après la découverte de sacs d’argent à son domicile comportant 1,6 millions d’euros en liquide. Est-il pertinent d’observer qu’indépendamment des graves conséquences pénales du pacte de corruption qui lui est ici reproché, ce sont bien les raisons qui auraient motivé ce dernier qui surprennent et interpellent.
En effet, il est désormais de notoriété publique à Bruxelles que Madame Eva Kaili aurait agi pour le compte d’autres pays dont l’Arménie et son puissant cercle de lobbyistes. Dans son article du 1 mars 2023 intitulé « ArménianGate » en vue ? L’Europe doit faire le ménage d’urgence dans ses groupes d’amitié, le Dr. Sébastien Boussois, spécialiste du Moyen-Orient a révélé que :
“Le 19 novembre dernier, un groupe de parlementaires a signé une déclaration accusant l’Azerbaïdjan d’avoir commis « une agression contre l’Arménie » et d’avoir « violé l’intégrité territoriale » de celle-ci. Les 33 signataires, dont Eva Kaïli, sont membres du groupe d’amitié du Parlement européen avec l’Arménie[1], très lié à la plus grande organisation pro-arménienne en Europe, EAFJD (Armenian Federation for Justice and Democracy) financée par le millionnaire Kaspar Karampetyan, né en Grèce et à la nationalité luxembourgeoise et arménienne”.
Lorsqu’il y a un corrompu, il y a nécessairement un corrupteur, sans le premier, le second ne saurait l’être. En d’autres termes, l’on ne saurait blâmer le corrupteur, alors que seul le corrompu, parce qu’il a cédé à la tentation, devrait être admonesté. Dès lors, celle qui tonnait avec ferveur plaidant et influençant sous couvert de démocratie, avait déjà été, comme Judas trahissant le Christ en son temps, elle même influencé par la monnaie tombante, trébuchante et sonnante. C’est ainsi, à l’image de la robe majestueuse symbolisant la splendeur de la vertu de la princesse Europe, que celle enveloppant le Parlement Européen a été souillée. Serait-il pertinent de rappeler les lettres du Livre du Deutéronome qui ont scellé mes travaux de thèse sur L’extraterritorialité des instruments de lutte contre la corruption :
“Tu ne porteras pas atteinte au droit, tu ne te montreras pas partial et tu n’accepteras pas de pots-de-vin, car les pots-de-vin aveuglent les yeux des sages et ruinent la cause des innocents.” Deutéronome Chapitre 16 verset 19
Au fond, il est préférable de louer les régimes incertains qui ont l’humilité de reconnaître l’intensité des efforts qu’exige d’eux la lutte contre la corruption, que l’arrogance de certains pays, se définissant unilatéralement comme démocratiques, pour lesquels le problème ne semble pas se poser.
Au-delà du retentissement médiatique de cette affaire, il convient d’interroger les mécanismes répressifs, tels que prévus par le droit pénal international, pour incriminer l’infraction d’agents publics étrangers. Il apparaît que la corruption est d’abord un comportement contraire à l’éthique et inhérent à l’être humain (I) — comme le rappelait le Professeur Bruno Oppetit dans ses travaux sur le paradoxe de la corruption — avant même d’être une infraction pénale portant atteinte aux droits de l’Homme et à la Démocratie (1). Mais la corruption est également un phénomène de pouvoir (II) et d’atteinte à la démocratie (III) que le droit pénal international doit s’évertuer de réprimer (IV).
I. La corruption comme phénomène éthique et moral
Les instruments de lutte contre la corruption n’ont pas pour but de combattre une immoralité due à quelque improbable décadence des mœurs. Ils ont pour but de limiter la puissance envahissante des Grands (2). En effet, l’infraction de corruption a toujours été un dilemme éthique (3) pour les personnes qui s’y livrent. En raison de la dimension psychologique qu’elle représente d’une part et, d’autre part, en raison de sa dimension sociale.
Psychologiquement
Face à une situation de corruption, l’individu doit sans cesse faire un choix dans son fort intérieur entre le désir de satisfaire son intérêt personnel et celui de conserver l’intérêt dont il a la charge de préserver. À ce sujet, Dostoïevski indiquait déjà que le plus terrible dans le désir c’est qu’il est mystérieux car en lui, il y a un combat perpétuel entre le bien et le mal, Dieu lutte avec le diable dans le champ de bataille qui se trouve être le coeur de l’Homme (4). Dès lors, ce qui distingue les individus se trouvant dans le même contexte infractionnel de corruption, c’est la défaillance de leur volonté à se laisser entraîner dans celle-ci. Leur point commun est d’avoir accompli une action acratique (5). Selon Alain Anquetil, elle a pour conséquence de les engager d’une certaine façon dans cette situation de corruption. Pour être acratique, l’action doit être intentionnelle, être accomplie librement et être contraire au jugement de son auteur, jugement selon lequel il aurait été préférable d’accomplir une autre action (6).
Ces derniers se retrouvent intellectuellement au coeur d’un lieu géométrique dans lequel se croise — et coïncide — une balance des intérêts (7) pesant le bénéfice personnel de l’acte de corruption et son coût moral (8). Pour le Professeur Clara Delavallade, c’est une forme de recherche de rente par laquelle des agents s’approprient des richesses via une manipulation des règles de l’activité économique (9). Ce coût moral englobe le contrôle de soi, le sentiment de culpabilité, la rupture avec les normes sociales, la confiance en soi dont dispose l’individu et la confiance qu’il accorde potentiellement aux personnes composant son groupe social (10).
Socialement
Selon Nils Köbis (11), la corruption n’est pas simplement un processus négatif de dégradation des qualités intellectuelles et morales de l’individu. C’est aussi un processus positif d’élévation sociale, du fait d’une opportunité qui se présente à l’individu (12) ou au groupe auquel il appartient (13). En effet, les comportements qui relèvent de l’infraction de corruption sont toujours conditionnés par les agissements des individus car les idées que se font les personnes sur le comportement des autres ne sont pas de « simples » opinions. Ces comportements ont plutôt tendance à contribuer à la construction des normes sociales (14) ayant une influence régulatrice sur les comportements des individus (15). Ces derniers se placent alors en dehors de toutes les règles sociales normalement établies.
En effet, comme l’a indiqué le Professeur Jacques Chevalier, en s’appuyant sur les travaux de Luc Boltanski et de Laurent Thévenot, la société n’est concevable que s’il y a accord sur certains principes, considérés comme des valeurs suprêmes desquelles découle l’ordre social, chacun étant tenu de justifier ses actions par référence à ces valeurs (16). Pourtant, la corruption est une infraction souvent commise par ceux qui sont en charge d’un l’intérêt général (17) pour des intérêts purement privés, plaçant ces individus en dehors de toutes les normes socialement établies.
II. La corruption comme phénomène de pouvoir
Au soutien de la précédente hypothèse, il est important de mettre en évidence le point commun — intangible et itératif — liant l’ensemble des individus impliqués dans des affaires de corruption : le pouvoir (18). En ce sens, Edwin Sutherland s’était déjà penché sur le crime en col blanc en le définissant comme une violation du droit pénal « par une personne de la classe supérieure dans le cadre de ses activités professionnelles (19)». Selon lui « la classe supérieure ne se caractérise pas seulement par sa richesse mais aussi par la respectabilité et le prestige social dont elle jouit dans le reste de la société (20) ». Selon les sociologues (21), le pouvoir est une réalité complexe car il comporte des dimensions qui renvoient chacune à des réalités historiques variées, elles-mêmes soumises à la perception purement subjective du chercheur (22). Néanmoins, afin de traiter la corruption comme phénomène de pouvoir il est possible d’en dégager deux approches.
La première approche du pouvoir est institutionnelle
Elle se définit comme la capacité ou la puissance de faire, la faculté d’octroyer un droit ou encore, d’avoir personnellement du crédit ou d’accréditer un tiers. Cette approche est assimilée à la capacité d’imposition d’un droit (23). En principe, le pouvoir institutionnel (24) émane de la fonction de l’individu ou de la position qu’il occupe au sein d’une institution qu’elle soit publique ou privée. Le pouvoir n’appartient donc pas à l’individu en tant que tel mais ce dernier en tire la source de sa fonction (25). Tel sera le cas de la corruption publique. En effet, l’agent mis en cause est en possession de la qualité d’agent public, souvent étranger, et qu’il soit le corrupteur ou le corrompu, ce dernier tire son pouvoir de la fonction qu’il détient au sein de l’institution publique.
La seconde approche du pouvoir est relationnelle
Il ressort ainsi de cette définition que le pouvoir tire sa source de l’individu, de ses ressources et plus particulièrement de sa solvabilité, celle-ci pouvant être entendue comme le seul crédit de l’individu. Cela lui permet d’en tirer un intérêt de celles-ci dans l’ensemble des relations sociales qu’il entretient et dans chacune des ses interactions (26). Tel sera le cas de la corruption privée. En effet, l’agent mis en cause n’est pas en possession de la qualité d’agent public — souvent une entreprise ou une personne morale — et qu’il soit le corrupteur ou le corrompu, il tire son pouvoir de ses ressources, de sa solvabilité et dans les intérêts de ses relations sociales.
Dès lors, il apparaît nécessaire de constater que la corruption est un comportement individuel qui, ayant lieu par des interactions nécessaires au sein d’un même groupe, va pousser ce dernier à ériger ses comportements en pratiques afin de créer des monopoles de puissance dans certains secteurs d’activité (27). En d’autres termes, l’intérêt personnel de l’individu va converger avec celui du groupe auquel il appartient et qui accepte de telles pratiques de corruption. Ces pratiques se retrouvent généralement au sein des entreprises ou des groupes de lobbying (28) qui ont pour principal objectif d’acquérir des monopoles en s’étendant sur des continents entiers dans le but d’en acquérir le contrôle commercial (29) et une position dominante pour en augmenter ses bénéfices financiers :
«Elf, Siemens ou Finmeccanica, plus récemment Alstom, Walmart ou Petrobras : nombreuses sont les entreprises qui ont été soupçonnées, poursuivies ou condamnées, ces vingt dernières années, pour des faits de corruption. Est-ce à dire que le monde des affaires est désespérément corrompu ? (…) De par ses activités, l’entreprise est souvent au coeur des « affaires », le plus souvent en position de corrupteur, plus rarement de corrompu (30)»
D’une part, pour y parvenir, les entreprises érigent l’infraction de corruption en pratique banalisée en justifiant la mise en place d’un tel système en ce sens. C’est ce qu’a relevé Jean François Médard dans ses travaux (31). D’autre part, les entreprises ne peuvent se livrer à des pratiques corruptrices à grande échelle sans recourir aux fonctionnaires composant l’État (32).
III. La corruption comme atteinte à la démocratie
Dans un monde utopique, la démocratie serait exempte de corruption, chaque pays aurait la possibilité de terminer son développement économique sans entraves et les élections seraient concurrentielles car les moyens financiers n’auraient aucune incidence sur combat électoral (33), seuls les arguments compteraient. Le monde actuel est métaphoriquement une dystopie donc tel n’est pas le cas. En effet, ce qui est attendu de la part du mandataire lors d’une élection, c’est une efficacité dans la mise en œuvre de décisions collectives pour servir l’intérêt général au cours de son mandat, non pas la prise de décisions individuelles pour servir un intérêt particulier (34).
L’essence même de la démocratie repose dans la confiance que le peuple place en la personne des ses représentants : une fois cette confiance trahie, la démocratie en est affaiblie (35). Or, il est important de constater qu’il y a des liens très étroits entre les représentants politiques et les opérateurs économiques (36). Cela a pour conséquence de fausser la vie démocratique et la libre concurrence.
Les représentants politiques en charge de l’intérêt général cherchent sans cesse la manière dont ils vont accéder au pouvoir et de quelle manière ils vont s’y maintenir et, par un jeu d’attraction, les opérateurs économiques en charge d’intérêts purement privés cherchent sans cesse la manière dont ils vont accroître leur contrôle commercial sur un territoire et par conséquent, le pouvoir leur permettant d’y accéder avec les moyens financiers dont, abondamment, ils disposent.
Les premiers, les représentants politiques en charge de l’intérêt général, disposent du pouvoir permettant d’accorder un tel droit ou encore, d’octroyer un tel marché public. Les seconds, les opérateurs économiques en charge d’intérêts purement privés, disposent des ressources nécessaires pour obtenir tel droit ou afin d’exploiter tel marché public mais sont dépourvus du pouvoir de se les approprier autrement qu’en se pliant au jeu de la concurrence.
Or, si cette appropriation résulte de l’utilisation abusive d’un pouvoir délégué, il s’agit de corruption. Corrupteur et corrompu peuvent tous deux être chercheurs de rente : le premier peut chercher à obtenir une rente en versant des pots-de-vin et les ressources qu’accapare abusivement le second peuvent aisément s’apparenter à une rente (37).
C’est donc à partir de ce moment précis, conscient des intérêts mutuels qui se croisent, que les premiers, les représentants politiques en charge de l’intérêt général vont échanger un acte de leur fonction contre les ressources dont disposent les seconds, les opérateurs économiques en charge d’intérêts purement privés et développent une relation de clientélisme (38).
Le cas du géant pétrolier Exxon Mobil est la parfaite illustration de l’attraction des intérêts entre les représentants politiques et les opérateurs économiques. Le géant pétrolier n’a pas hésité à corrompre plusieurs agents publics étrangers dans les pays en voie de développement afin de pouvoir obtenir les marchés publics lui permettant d’exploiter les sous-sols riches en ressources pétrolières, notamment en Afrique (39).
En France ou à l’international, les affaires de corruption sont connues, le plus fréquemment, lors de grands scandales à l’initiative de membres de la société civile ou des journaux d’investigation internes ou internationaux. L’affaire des Décorations déjà évoquée plus haut dans les présents travaux, l’affaire du Scandale de Panama en 1992 (40), la Société Générale ayant versé plusieurs millions de pot de vins à un intermédiaire du régime de l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi entre 2007 et 2009 afin d’obtenir des marchés auprès du fonds souverain Libyan Investment Authority (41), l’affaire Wikileaks (42), celle des Panama Papers (43) ou très récemment, celle de Pandora Papers ou plus récemment, de McKinsey.
Au-delà du fait de son opacité en tant qu’infraction de nature occulte, l’infraction de corruption empêche le fonctionnement normal d’une économie, fausse les marchés publics, freine les pays en voie de développement et favorise l’impunité (44), comme dans cette affaire de corruption sans précédent au sein du Parlement Européen.
IV. La répression de la corruption d’agent public étranger par le droit pénal international
Le 17 décembre 1997, sous l’impulsion de l’Organisation de coopération et de Développement économiques est adoptée la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales de l’OCDE du 17 décembre 1997.
À titre liminaire, et avant d’étudier la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales, il est nécessaire d’indiquer que cette convention internationale n’est pas le premier instrument en matière de lutte contre la corruption en Europe. En effet, le 26 mai 1997, l’Union Européenne a adopté la « Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union Européenne (45) ». L’objectif de cette convention était de limiter cette convention (46) aux « fonctionnaires » et non aux « agents publics étrangers (47) ». Dès son entrée en vigueur le 15 février 1999 (48), la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales a eu pour objectif d’être l’instrument de lutte contre la corruption de référence en Europe et surtout dans le monde.
Mais à l’aune de la mondialisation et du numérique, l’augmentation du volume des flux financiers transfrontaliers et des échanges commerciaux, la répression de l’infraction de corruption est devenue complexe à détecter et parfois même impossible à réprimer. Complexe à détecter car elle est le plus souvent le fait des élites — Chefs d’États, membres de gouvernements, hauts dirigeants ou personnes politiquement exposées — qui disposent pour les uns de la protection de leur appareil étatique et, pour les autres, de l’opacité de la structure de leur organisation entre filiales et maisons mères de par le monde. Impossible à réprimer de surcroît, car en partant du constat que l’infraction de corruption est commise simultanément par une multitude d’acteurs disposant de positions dominantes dans plusieurs États différents, la localisation géographique de l’infraction de corruption interroge sur l’instrument de lutte contre la corruption applicable et sur la compétence des juridictions pénales ayant vocation à la réprimer.
Si la criminalité économique et financière ne connaît pas de frontières, la police et la justice d’un État ne peuvent s’en affranchir malgré les avancées et les progrès de la coopération internationale en la matière. Alors que l’essentiel de la répression dans la lutte contre la corruption intéressait principalement la corruption publique nationale, il y a peu encore, la répression de cette infraction va désormais s’exercer, non seulement à l’encontre de la corruption publique étrangère mais aussi, et surtout, à l’encontre de la corruption publique internationale.
La corruption est une infraction qui comporte très souvent des éléments d’extranéité (49) en raison de la nationalité des auteurs ou des victimes mais surtout, en raison de son caractère transnational décuplé par la mondialisation (50). L’infraction de corruption est singulière en ce qu’elle s’adapte à la vie des affaires qui elle-même suit la mondialisation ; et parce qu’elle suit la mondialisation, l’infraction de corruption donne lieu à une pluralité d’acteurs situés dans des territoires différents, ce qui rend sa répression difficile et complexe.
Le droit pénal international a très peu évolué depuis les premiers instruments de lutte contre la corruption tels que la convention de l’Organisation de Coopération et des Développement Économiques (51), de Palerme (52) ou de Mérida (53). De ce fait, les États ont tendance à renforcer leurs instruments de lutte contre la corruption, d’une part, en interprétant de manière extensive les liens de rattachement entre l’infraction de corruption et leur territoire national et, d’autre part, en les dotant d’une forte portée extraterritoriale (54).
Partant de ces constats, il semblerait donc pertinent de promouvoir une nouvelle convention internationale dont l’objet viserait à redéfinir les contours de l’infraction de corruption et les modalités de sa répression. D’abord, une telle convention internationale pourrait inclure l’infraction de corruption au sein de la liste comportant les infractions d’une particulière gravité, notamment en raison de l’importance des bénéfices perçus par la personne mise en cause ou en raison des sommes détournées ou dissimulées (par exemple lorsqu’il s’agit du détournement des aides au développement)
Cela permettrait que les États puissent exercer leur compétence répressive au titre du principe de compétence universelle. Une telle mesure permettrait, d’une part, de recouvrer les biens et les produits issus de l’infraction de corruption qui devaient en principe revenir à l’Etat victime et, d’autre part, une telle mesure permettrait également de limiter le recours à l’extraterritorialité des instruments de lutte contre la corruption par l’élargissement des titres de compétence territoriale et personnelle pour des motifs qu’un État ne justifierait pas autrement.
Ensuite, le législateur pourrait alourdir les sanctions pénales à l’encontre des agents publics étrangers, notamment par une interdiction définitive d’entrer en affaires avec ces derniers, ou encore, par une interdiction permanente du territoire national ou de sièger dans les instances internationales. Tel pourrait être également le cas pour les personnes morales étrangères. En cas de commission d’actes de corruption, la sanction pénale pourrait consister en une interdiction temporaire des marchés ou une limitation des investissements dans certains secteurs. Ce qui devrait permettre une dissuasion drastique de la corruption car l’intérêt économique et réputationel d’être considérée comme persona non grata serait suffisamment marqué.
Enfin, outre ces modestes recommandations pour adapter le droit pénal international, notamment, à l’extraterritorialité des instruments de lutte contre la corruption et, bien que l’idée d’une Cour Pénale Internationale pour Crimes Économiques et Financiers ait déjà été évoquée par la doctrine — et que certains auteurs militent pour la création d’une Cour Anti Corruption Internationale — il semblerait que le droit pénal international soit totalement dépendant de la volonté des États pour mettre en place de tels mécanismes qui pourraient lutter de manière concrète contre la corruption tout en encadrant l’usage de l’extraterritorialité par l’extension des titres de compétence territoriale et personnelle.
Notes et références
(1) BACCOU R., Platon, La république, oeuvres complètes, Livre VI, traduction nouvelle, Garnier Frères, p. 223 à 246.
(2) GRANET J., Être électeur à Rome à l’époque de Cicéron, Pallas, Revue d’études antiques, 1997, p. 327 à 339.
(3) Selon Alain Anquetil c’est d’un dilemme entre une gamme de valeurs contradictoires et la conséquence de la solitude des individus prenant des décisions difficiles, ANQUETIL A., Corruption et faiblesse de la volonté, Dans Le journal de l’école de Paris du management, 2005/1 (N°51), p. 9 à 15
(4) DOSTOIEVSKI F., Les frères Karamazov, Plon, 1888, p. 160 à 175.
(5) Ce terme vient du mot grec akratos, qui signifie absence d’un certain type de puissance.
(6) ANQUETIL A., Corruption et faiblesse de la volonté, Dans Le journal de l’école de Paris du management, 2005/1 (N°51), p. 9 à 15.
(7) Ibid., p. 9 à 15 : Alain Anquetil constate que certaines personnes, devant des situations de corruption, ont en premier lieu fait preuve de faiblesse dans leur volonté en agissant contre leur jugement, et en second lieu, sont passées par une phase de rumination qui les a conduites à une action radicalement opposée. Ce processus pourrait, selon lui, s’interpréter comme une faille de la rationalité.
(8) SEGOND L., Ibid., Livre de Matthieu, Le Nouveau Testament, 1910, Chapitre 27 verset 3 à 7.
(9) DELAVALLADE C., Pauvreté et corruption : un cercle vicieux, Regards croisés sur l’économie, vol. 14, no. 1, 2014, p. 72 à 83.
(10) En ce sens, voir les travaux de LASCOUMES P., NAGELS C., Chapitre 9 — Les réactions sociales à la « corruption » politique, Sociologie des élites délinquantes. De la criminalité en col blanc à la corruption politique, sous la direction de LASCOUMES P., NAGES C., COLIN A., 2014, p. 245 à 264.
(11) Nils Köbis est Postdoctoral Researcher à l’Amsterdam School of Economics rattaché au CREED (Center for Research in Expérimental Economics and Political Decision-making) au sein de l’University of Amsterdam il a publié une thèse de doctorat en 2021 dédiée aux mécanismes décisionnels et aux facteurs qui influencent la dynamique psychologique du détenteur de pouvoir aux prises avec le dilemme de la corruption.
(12) HASLAM A., REICHER S., Le pouvoir corrompt-il ?, Cerveau & Psycho n° 13, 1999 : https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie-sociale/le-pouvoir-corrompt-il-3757.php).
(13) HANIN F., Cas n° 1 : La personnalisation de l’image du magistrat dans la presse : l’exemple de l’« affaire Urba », In: Droit et société n°26,. Justice et médias, 1994 p. 19 à 25.
(14) GAETNER G., SAZARIN J., Histoire du financement du PS, L’Express, 1990.
(15) MURRAIN H., La légalité et la représentation de l’autre. L’influence des normes sociales dans le respect des lois, Droit et société, vol. 91, no. 3, 2015, p. 653 à 664.
(16) CHEVALLIER J., La loyauté dans les relations internationales, L’Harmattan, Coll. Logiques politiques, 1ère éd. 2001, p. 185 à 211 et 2ème éd. 2010, p. 147 à 176. Pareillement, voir BOLTANSKI Luc, THÉVENOT L., De la Justification, Les Économies de la grandeur, Coll. NRF. Essais, Gallimard, 1991, 496 pages.
(17) GRANDAUBERT V., La saisie des « biens mal acquis » à l’épreuve du droit des immunités internationales : quelques observations à propos du différend opposant la Guinée équatoriale à la France, Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université Paris Nanterre. Dans le même sens voir Réquisitoire définitif aux fins de disjonction, de non-lieu et de renvoi partiels devant le tribunal correctionnel, Cour d’appel de Paris, Parquet national financier, 23 mai 2016, p. 23 à 25 et Requête introductive d’instance de la Guinée Équatoriale déposée auprès de la Cour Internationale de Justice, 13 juin 2016, Annexe n° 1, p. 37 à 39.
(18) CARTIER BRESSON J., Corruption et gouvernance, un enjeu mondial majeur, Dans En quête d’alternatives 2017, p. 76 à 84 : régulation du système. Le désenchantement est à l’oeuvre et la perte de confiance vis-à-vis des élites prend son essor ».
(19) SUTHERLAND E., Crime and Business, Introduction et traduction par Pauline Barraud de Lagerie et Marie Trespeuch, Dans Terrains & travaux 2013/1 (N° 22), p. 169 à 181.
(20) Ibid.
(21) BAUDRILLARD J., Oublier Foucault, Galilée, 1977, p. 53. Dans le même sens voir BAUDRILLARD Jean et BOYER Philippe, La Question du pouvoir : entretiens, Vincennes, Dérive, 1977.
(22) ROCHER G., Droit, Pouvoir et Domination, Bibliothèque virtuelle de l’UQAC, 1986, p. 15 à 16.
(23) Selon les travaux de Rocher, Giddens ou de la philo-socio politique de Sawicki et D’Allonnes.
(24) HUAULT I., BERNARD L., Pouvoir : une analyse par les institutions, Revue française de gestion, vol. 193, no. 3, 2009, p. 133 à 149.
(25) MAGDELAIN A., Jus imperium auctoritas, Études de droit romain, Rome : École Française de Rome, (Publications de l’École française de Rome, 133), 1990, 816 pages. L’auteur indique, notamment, que sous l’empire romain, il y avait une distinction claire et précise entre l’imperium et l’auctoritas. Le premier étant le pouvoir tiré de la fonction de l’individu au sein d’une institution (le magistrat prêteur) et le second de l’autorité de l’individu en raison de ses ressources (le commerçant fortuné pouvant payer afin de jouir de certaines charges). Voir également SALLES D., Vénalité des offices, Nicolas Kada éd., Dictionnaire d’administration publique, Presses universitaires de Grenoble, 2014, p. 517 à 518.
(26) En effet, Parsons et Luhmann ont ouvert une nouvelle perspective de la définition du pouvoir comme «média de communication ».
(27) CARTIER BRESSON J., Éléments d’analyse pour une économie de la corruption, Drogues et développement, Tiers-Monde, sous la direction de Pierre Salama et Michel Schiray, tome 33, n°131, 1992, p. 581 à 609.
(28) BESSIRE D., MESURE H., Penser l’entreprise comme communauté : fondements, définition et implications, Management & Avenir, vol. 30, no. 10, 2009, p. 30 à 50.
(29) MONIER REYES L., Corruption en Afrique : Vincent Bolloré plaide coupable mais n’évite pas le procès, TV5 Monde, 24 avril 2018 : https://information.tv5monde.com/info/l-homme-d-affaires-francais-vincent-bollore-place-en-garde-vue-233359.
(30) MATELLY S., Les entreprises face à la corruption, Revue internationale et stratégique, vol. 101, n° 1, 2016, p. 121 à 129.
(31) MEDARD J., Les paradoxes de la corruption institutionnalisée, Revue internationale de politique comparée, vol. 13, n° 4, 2006, p. 697 à 710.
(32) Ici, il est pertinent de formuler cette proposition de la sorte car ce sont bien les fonctionnaires qui composent l’État et, dès lors, en cas de comportement relevant de l’infraction de corruption, l’anomalie serait imputable à l’individu seul et non pas à l’État dans son ensemble. Or, dans la formulation inverse, qui consisterait à indiquer qu’au bout de la chaîne se trouve l’État, permettrait de suggérer que c’est ce dernier, dans son intégralité, qui se livrerait sans exception à des comportement relevant tous de l’infraction de corruption et il serait tout à fait inconcevable de soumettre une telle hypothèse dans les présents travaux.
(33) MOLLIER J., L’âge d’or de la corruption parlementaire 1930–1980, Perrin, 2018, 356 pages.
(34) CICERON, De la République, Livre 4, Librairie de la Bibliothèque Nationale de Paris, traduction nouvelle par Victor Poupin, vol 1, 1911, 188 pages : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56958289/texteBrut.
(35) MARDELLAT V., Qu’y a-t-il de mal dans la corruption (en démocratie) ? Une approche contractualiste, Revue française de science politique, vol. 69, n°. 2, 2019, p. 305 à 325.
(36) « Un opérateur économique est une entité, quels que soient son statut juridique et son mode de financement, qui exerce une activité économique », Cour de Justice de la Communauté Européenne, 23 avril 1991, Höfner, Aff. C-41/90.
(37) DELAVALLADE C., Pauvreté et corruption : un cercle vicieux, Regards croisés sur l’économie, vol. 14, no. 1, 2014, p. 72 à 83.
(38) MEDARD J., Clientélisme politique et corruption, In Tiers-Monde, Corruption, libéralisation, démocratisation, sous la direction de Jean Cartier-Bresson. tome 41, n°161, 2000, p. 75 à 87.
(39) ALOGO DE OBONO J., Le Grand père assassin … Obiang : Président de la plus grande « démocrature » d’Afrique, Le Voyageur Éditions, 2021, 192 pages.
(40) DEGOS J., PRAT C., L’échec du canal de Panama. Des grandes espérances à la détresse financière, Revue française de gestion, vol. 188–189, no. 8–9, 2008, p. 307 à 324.
(41) BOITET O., Corruption avec la Libye : Société Générale va payer 500 millions d’euros au fisc américain et français, Le Parisien, 4 juin 2018 : https://www.leparisien.fr/economie/corruption-en-libye-societe-generale-va-payer-250-millions-d- euros-au-fisc-04–06–2018–7752381.php.
(42) PUYBARREAU B., Retour sur l’« affaire Wikileaks » : qu’ont changé les révélations de 2010 ?, Doctorant, CERI, Sciences Po, 5 février 2016 : https://theconversation.com/retour-sur-l-affaire-wikileaks-quont-change-les-revelations-de- 2010–132556.
(43) Transparency International, « Panama Papers » : un coup sérieux porté à l’opacité financière, Communiqué de Presse, 4 avril 2016 : https://transparency-france.org/actu/panama-papers-coup-serieux-porte-a-lopacite-financiere/#.YJI2oS0vNEY
(44) BEAUVALLET O., La lutte contre l’impunité. Concept et enjeux modernes de la promesse démocratique, Les Cahiers de la Justice, vol. 1, no. 1, 2017, p. 15 à 27.
(45) J.O.C.E., n° C 195/1 du 25 juin 1997 ; entré en vigueur le 28 septembre 2005.
(46) CAVALERIE P., La convention O.C.D.E. du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d‘agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, A.F.D.I., Editions du C.N.R.S., Paris, 1997, p. 617.
(47) Rapport explicatif de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l’Union européenne, approuvé par le Conseil le 3 décembre 1998, J.O.C.E., C 391, du 15.12.1998, point 1.1 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A51998XG1215
(48) Entrée en vigueur le 15 février 1999 : http://www.oecd.org/dataoecd/4/19/3028103.pdf.
(49) ROSA A., Dictionnaire de Droit International Pénal, Presses Universitaires de France, 1998, p. 117.
(50) JALILI M., Mondialisation de la corruption et de la criminalité, Blundo, Giorgio. Monnayer les pouvoirs : Espaces, mécanismes et représentations de la corruption, Genève : Graduate Institute Publications, 2000, p. 87 à 98 http://books.openedition.org/iheid/2623.
(51) Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de 1997, entrée en vigueur en 1999, RTNU, vol. 2802.
(52) Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, Nations Unies, Recueil des Traités , vol. 2225, Palerme, 15 novembre 2000.
(53) Convention des Nations unies contre la corruption, Nations Unies, Recueil des Traités , vol. 2225, Mérida, 31 octobre 2003.
(54) CHILSTEIN D., Droit pénal international et lois de police ; essai sur l’application dans l’espace du droit pénal accessoire, Dalloz, 2003, p. 467.